(2e édition français/anglais) :
 
    Pour déchiffrer parfaitement, il suffit d’apprendre à lire en avance afin d’avoir le temps de voir arriver toutes les difficultés. Il faut donc lire très vite, plus vite que le tempo, quel qu’il soit. Il faut pouvoir pré-voir (voir avant) ce qui va arriver afin de pouvoir tout contrôler (notes, rythmes, altérations accidentelles, changements de mesure, de tempo, de tonalité etc….). Cette méthode de lecture musicale est originale dans le sens où elle s’inspire des techniques utilisées pour l’apprentissage de la lecture rapide. D’après les expérimentations effectuées, la méthode complète ne nécessite, pour un lecteur moyen, que deux ou trois heures de travail. Ces expérimentations ont démontré qu’en un laps de temps aussi court, la vitesse de lecture peut être doublée ! Cette méthode contient également des exercices spécifiques pour claviers (lecture verticale) écrits par Bob Revel.
 

 
LES PROBLEMES DU DECHIFFRAGE…
ou
LA LECTURE MUSICALE PAR L’EDUCATION DE L’OEIL
 
 
S’il y a un sujet qui me tient particulièrement à coeur, c’est bien celui qui concerne les problèmes de lecture musicale, de déchiffrage. Même si vous vous considérez comme un piètre lecteur, si vous pensez que vous êtes nul en déchiffrage et que malgré votre travail et votre détermination vous n’avez pas pu progresser, je peux vous assurer que vous pouvez devenir un excellent lecteur, que vous pourrez déchiffrer n’importe quelle partition avec une facilité qui vous étonnera. Cela est valable, tant pour les étudiants que pour les musiciens amateurs, mais également pour les musiciens professionnels (eh oui, il y a de nombreux professionnels de la musique qui ne sont pas forcément de bons lecteurs).
 
Bien entendu, je ne cesse de répéter qu’il n’existe aucune méthode miracle, qui permette, en claquant dans les doigts ou d’un coup de baguette magique, de régler un problème. Et si je prétends qu’il est possible de devenir excellent en déchiffrage, c’est qu’il y a un cheminement rationnel qui permet de parvenir à cette finalité.
 
Jusqu’à une certaine époque, on ne savait pas pourquoi un musicien était doué en déchiffrage et qu’un autre, qui avait pourtant suivi la même formation avec le même sérieux, était incapable de lire correctement une partition (je ne parle pas ici de difficultés “solfégiques” mais de lecture proprement dite) . Nous savons maintenant qu’il y a une cause physiologique à cela, cause qu’il suffit simplement de modifier pour transformer un « mauvais » lecteur en un « très bon » lecteur.
 
Cette raison physiologique a été découverte par un ophtalmologiste, Monsieur Émile Javal. Le docteur Javal a analysé en laboratoire la physiologie de la lecture (lecture courante) et en a démonté les mécanismes. En fait, il suffit simplement de tenir compte de ses découvertes pour transformer un mauvais lecteur en un excellent lecteur. Mais ce qui m’agace le plus, et j’espère que cela va vous agacer également, c’est que cette découverte a été faite en… 1905 ! Nous sommes au vingt et unième siècle et nous pouvons faire le terrible constat que dans nos écoles, dans nos collèges, lycées etc., personne ne tient compte de ces découvertes pour l’enseignement de la lecture. Bien sûr, il y a toujours des enseignants passionnés par leur travail et qui ont eu connaissance de ces travaux ; alors, ils ont, de leur propre chef, fait travailler leurs élèves dans ce sens, mais comme ils sont une toute petite minorité, cela dure un an et lorsque l’élève change d’instituteur ou de professeur, ce travail s’arrête. De plus, il est déjà trop tard pour mettre en place ce nouveau réflexe de lecture au collège ou au lycée. Il serait beaucoup plus cohérent de faire ce travail dès l’école primaire, dès le cours préparatoire, donc d’installer ce bon réflexe au départ pour ne pas avoir à en changer.
 
Alors je m’empresse de dire qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, et nous n’avons pas le choix puisque je suppose que tous ceux qui liront cet article sont sortis du cours préparatoire de l’école primaire depuis un certain nombre d’années maintenant.
 
• La physiologie de la lecture
 
Cette méthode de déchiffrage que je vous présente ici est, comme vous allez le voir, originale dans le sens où elle remet complètement en cause notre manière de lire la musique et nous permet de nous adapter à ces nouveaux réflexes en un temps très court.
 
Voyons quels sont les principes de cette méthode.
 
Il y a un point sur lequel tout le monde est d’accord : pour déchiffrer parfaitement, il suffit de lire suffisamment en avance afin d’avoir le temps de voir toutes les difficultés qui vont nous assiéger. Il faut pouvoir pré-voir (voir avant) ce qui arrive afin de tout contrôler (notes, rythmes, altérations accidentelles, sauts d’intervalle, changement de mesure, de tempo, de tonalité… etc.).
 
Or, pour lire en avance, il suffit d’avoir une vitesse de lecture suffisante pour ne pas se laisser rattraper par le tempo quelqu’il soit. Il est évident que personne n’aura de difficultés à déchiffrer un mouvement lent (noire=60) avec des noires, des blanches, voire des croches puisque dans ce cas, nous lisons tous naturellement en avance. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un presto à 152 à la noire avec des doubles croches, des altérations accidentelles et des sauts d’intervalle, là, il est probable que nous nous laissions rattraper, voire dépasser par le tempo…
Et c’est la catastrophe !
 
Alors que fait-on généralement pour lire plus vite ? Eh bien, nous nous entraînons à faire courir nos yeux le plus vite possible sur la portée afin d’essayer de lire le plus en avance possible, ce qui paraît logique.
 
Mais il faut savoir que ceci est totalement inefficace. Vous pourriez faire ce travail 6 heures par jour pendant des mois, vous n’amélioreriez pas du tout votre vitesse de lecture, tout simplement parce que ceci est physiologiquement impossible. Il est important que les professeurs de formation musicale aient connaissance de cela.
 
Contrairement à ce que l’on pense, l’oeil ne lit que s’il est immobile. Il avance par bonds et s’immobilise entre les bonds pour fixer (lire) une portion de la ligne. C’est donc pendant ces « fixations » qu’il enregistre.
 
Voici comment nous pourrions décrire le processus de lecture :
 
• l’oeil fixe un groupe de signes (surface de fixation) pendant 1/4 de seconde (on entend par signe : notes, espace, altération, barre de mesure etc…)
 
• ensuite il saute vers un autre groupe de signes, ce qui demande 1/40e de seconde ;
 
• il procède alors à une nouvelle fixation durant 1/4 de seconde
 
• il refait un bond pendant 1/40e de seconde… et ainsi de suite…
 
On a ensuite constaté, et c’est le plus intéressant, que l’oeil du lecteur rapide ne se déplace pas plus vite que celui du lecteur lent. Le « saut » se fait toujours en 1/40e de seconde, quant au temps de fixation, il reste le même : 1/4 de seconde. Tout simplement parce que l’oeil est physiologiquement incapable de se déplacer plus rapidement.
 
Alors, où se situe la différence entre un lecteur lent et un lecteur rapide, si la vitesse de l’oeil reste la même dans les deux cas ?
 
C’est tout simple : La vitesse de lecture est fonction de la surface de fixation : pendant le 1/4 de seconde de fixation, l’oeil du lecteur rapide perçoit plus de signes que le lecteur lent.
 
Un lecteur lent va être capable d’enregistrer (d’avoir dans son champ visuel) 5 ou 6 signes, alors qu’un lecteur rapide peut aller jusqu’à percevoir plus de 30 signes.
 
Exemple en lecture courante.
 
Si vous fixez pratiquement chaque mot, vous lirez lentement :
 
Je      vais        devenir        un        excellent        lecteur
↑        ↑              ↑           ↑              ↑                  ↑
 
 
Il est préférable de lire ainsi :
 
Je vais        devenir un          excellent lecteur
    ↑               ↑                         ↑
 
Ou encore mieux :
 
Je vais devenir   un excellent lecteur
           ↑                        ↑
 
Donc lire plus vite ne signifie pas accélérer les mouvements des yeux mais agrandir le champ de vision horizontal.
 
Ce que l’on sait maintenant, et c’est fondamental, c’est qu’un mauvais lecteur a un champ visuel horizontal naturellement très étroit, et qu’un excellent lecteur a un champ visuel horizontal naturellement très large. À partir de là, il est extrêmement facile de transformer, comme je le disais un peu plus haut, un mauvais lecteur en excellent lecteur : il suffit d’augmenter son champ visuel horizontal.
 
La méthode que j’ai mise au point est conçue de manière à augmenter graduellement le champ de vision horizontal et ainsi créer de nouveaux réflexes de lecture, ceci dans un minimum de temps. (Il me faut néanmoins préciser que contrairement à la lecture courante, nous avons besoin, nous autres musiciens, d’un champ visuel vertical, limité pour les instruments mélodiques et plus importants pour les instruments à claviers. À ce sujet, je précise qu’il existe une version “pour claviers” qui contient, en plus, des exercices spécifiques sur deux portées, écrits par Bob Revel.)
 
Au début de cet ouvrage, il vous est proposé d’effectuer trois tests de lecture chronométrés et de les refaire après avoir travaillé l’ensemble de la méthode, donc avec votre nouvelle manière de lire la musique. Ce qui est intéressant, c’est que vous pouvez ainsi objectiver, quantifier vos progrès ; vous ne dites pas : « J’ai l’impression de lire plus vite », vous direz par exemple « J’ai augmenté ma vitesse de lecture de 41 % ». C’est du concret.
 
Lors des expérimentations de cette méthode, je m’étais donné les limites suivantes : si en 15 jours ou 3 semaines de travail, l’augmentation de la vitesse de lecture dépasse 5 %, la méthode vaut la peine d’être diffusée, sinon je la range dans mes tiroirs.
 
Les résultats ont largement dépassé mes espérances. En effet, d’après nos observations, la méthode complète ne nécessite, pour un lecteur moyen, que 2 ou 3 heures de travail. Et en un laps de temps aussi court, la vitesse de lecture peut être doublée !
 
Les expérimentations ont été faites, tant par des élèves que par des professionnels (dont plusieurs sont professeurs de formation musicale) et il est intéressant de noter que même les très bons lecteurs ont augmenté leur vitesse de lecture.
 
Nous avons constaté qu’en lisant de cette manière (donc beaucoup plus vite), nous faisons beaucoup moins de fautes de notes. De plus, les études faites par l’équipe de François Richaudeau sur la lecture courante ont démontré que nous bénéficions d’une meilleure concentration, d’une meilleure mémorisation à court terme mais aussi à long terme (les informations passant au niveau de la mémoire à long terme se retiennent beaucoup plus longtemps), et d’une meilleure compréhension des textes. Tout cela avec beaucoup moins de fatigue et, je le répète, en lisant beaucoup plus vite ! Il n’y a donc que des avantages. Il faut encore rajouter à cela que le fait de lire avec une telle avance nous permet d’avoir une meilleure vue d’ensemble de la phrase musicale, ce qui permet par exemple de placer les respirations (pour les instrumentistes à vent) de manière beaucoup plus précise, et surtout de mieux interpréter cette phrase. En effet, lorsque nous lisons très peu en avance, nous ne savons pas où va la phrase musicale et bien souvent, la musicalité est absente de tout déchiffrage. Là, ce n’est plus du tout le cas, nous voyons la phrase dans son ensemble et nous pouvons donc l’interpréter, même lors de la première lecture.
 
Mais le plus intéressant est que ces réflexes de lecture pourront être très rapidement adaptés à la lecture courante, c’est-à-dire que vous lirez n’importe quel livre, article ou revue en beaucoup moins de temps, en étant beaucoup plus concentré, en comprenant beaucoup mieux, et surtout en mémorisant beaucoup plus facilement et à plus long terme ce que vous lisez.
 
Les écoliers et étudiants qui ont travaillé cette méthode en tirent grand profit dans leurs études.
 
Il faut cependant préciser qu’au début, lorsqu’ils s’appliquent à lire un texte de cette manière (jusqu’à ce que le réflexe soit installé), il leur arrive de ne pas tout comprendre de ce qu’ils lisent, mais je les rassure, cela est tout à fait normal. Il faut, dans ce cas, s’entraîner jusqu’à ce que cette nouvelle manière de lire se fasse naturellement, sans ne plus avoir à y penser, et alors ils pourront comprendre ce qu’ils lisent. N’oubliez jamais que personne ne peut penser à deux choses à la fois. Il faut donc installer les automatismes adéquats (pour la lecture courante, il peut être intéressant de travailler parallèlement la méthode de lecture rapide Richaudeau).
 
J’en profite pour faire une mise au point importante dont il faut absolument tenir compte.
 
La plus grande absurdité que j’ai entendue sur cette méthode de lecture a été faite par un professeur de piano qui avait expérimenté cette méthode, ainsi que tous ses élèves. Il avait constaté qu’ils avaient tous augmenté leur vitesse de lecture de plus d’un tiers, ce qu’il a trouvé, dans un premier temps, très satisfaisant.
 
Puis il s’est rendu compte qu’avec le temps, les anciennes habitudes de lecture revenaient (vous connaissez l’expression « Chassez le naturel il revient au galop »). Alors il en a déduit que la méthode était efficace en apparence car effectivement, on arrivait à augmenter la vitesse de lecture de façon spectaculaire, mais qu’elle fonctionnait un peu comme une « drogue » (le mot a été prononcé), car dès qu’on arrêtait de la travailler, on perdait l’acquis.
 
Je dois dire que cette réflexion m’a un peu inquiété de la part d’un pédagogue, qui dans ce cas, a négligé la clef de voûte de la pédagogie, qui est l’assimilation des connaissances et c’est pour cela que je relate l’anecdote ici, car cela me permet d’insister sur ce point très important, a fortiori dans ce cas particulier.
 
Je répète que le cerveau humain est incapable de penser à deux choses simultanément. Il peut alterner très rapidement d’un sujet à l’autre, c’est ce qui nous donne parfois l’illusion de penser à deux choses en même temps, mais ne peut pas gérer deux informations à la fois. Il faut donc (c’est la base de l’apprentissage et de la pédagogie) installer des automatismes afin de pouvoir s’occuper d’autres choses, résoudre d’autres problèmes, donc progresser. Il est bien évident que tant que la personne qui a mis en pratique cette méthode ne lit pas naturellement avec son nouveau réflexe de lecture, il sera obligé d’y penser constamment, jusqu’à ce que le subconscient prenne à sa charge cette action et la transforme en automatisme. C’est ce qui se passe chez tout un chacun lorsque nous sommes dans un processus d’apprentissage (apprendre à faire du vélo, du ski ou conduire une voiture… etc.).
 
Alors je suppose que vous avez compris que dans cet exemple, ce « naturel » qui aura tendance à revenir au galop, c’est votre réflexe de lecture que vous avez installé lorsque vous avez appris à lire, c’est-à-dire, pour la majorité d’entre nous, à l’âge de 6 ans. Bien sûr, votre génial cerveau, et c’est là que vous pouvez être admiratif envers lui, va vous permettre de modifier votre technique de lecture en trois heures de temps, mais il vous faudra toute votre concentration pour lire avec cette nouvelle habitude, au moins pendant un temps, jusqu’à ce que votre subconscient prenne le relais et transforme cette nouvelle technique de lecture en automatisme, ce nouvel automatisme se substituant à l’ancien.
 
C’est pourquoi j’ai l’habitude de conseiller aux personnes qui travaillent cette méthode d’utiliser ces nouveaux réflexes de lecture de manière “obsessionnelle”. Bien sûr à chaque fois qu’ils lisent (en lecture courante ou en lecture musicale), mais également je les incite à s’entraîner à lire les panonceaux publicitaires, ou les plaques d’immatriculation des voitures de cette manière, afin de créer ce réflexe le plus rapidement possible. Il faut bien penser qu’à chaque fois que vous ne pensez pas à lire avec votre nouveau réflexe, vous utilisez l’ancien, donc vous ne progressez plus, voire vous régressez (voir la métaphore de la planche et des clous dans “L’utilisation de nos ressources intérieures”).
 
À ce sujet, je précise également que même s’il ne faut que trois heures environ pour faire la méthode d’un bout à l’autre, il est vivement conseillé de ne pas trop espacer les séances de travail. À la lumière de ce qui vient d’être dit, vous avez compris que si vous faites une demi-heure le lundi et que vous attendez le mercredi pour faire une autre demi-heure, il est bien évident que les quelques réflexes que vous aurez acquis lors de cette première séance ne seront plus très présents deux jours plus tard. Il est donc vivement conseillé de faire la méthode, non pas en une seule fois, mais au moins en deux, trois ou quatre séances relativement rapprochées les unes des autres.
 
J’en terminerai donc en faisant simplement remarquer que la grosse difficulté consiste donc à « oublier » nos anciens réflexes car ce sont eux qui vont tenter de revenir annihiler les nouveaux. Il serait dès lors très souhaitable d’instaurer chez le jeune musicien, et ceci dès le début de ses études musicales, les réflexes de base qui lui permettront de lire plus vite avec un minimum de fatigue, sans oublier tous les avantages décrits plus haut. Il lui sera aisé de s’imprégner de cette technique, sans connaître la difficulté de se débarrasser d’anciennes habitudes inhibitrices.
 
Et si j’osais émettre un voeu en ce début de millénaire ? Pourrions-nous imaginer que tous les musiciens, sans exception, déchiffrent parfaitement, et cela sans effort particulier ? Cela est facilement réalisable, il suffirait que dans les écoles primaires, on apprenne à lire aux enfants en augmentant leur champ visuel, et que parallèlement, dans les écoles de musique, les enfants apprennent à lire la musique de la même manière.
 
 
Michel RICQUIER