Lepoint.fr – Publié le 10/04/2010 à 13:40 – Modifié le 13/04/2010 à 12:34

Par Emmanuel Berretta

Les sociétés de perception, qui gèrent les droits des artistes et producteurs, n’avaient pas bonne réputation. Publié ces jours-ci, le rapport de la Commission permanente qui contrôle ces organismes ne va pas arranger les choses. Les rapporteurs jettent une lumière crue sur les rémunérations de leurs dirigeants. Accablant pour certains d’entre eux ! Un rapport qui devrait horrifier les artistes dont le travail nourrit la bête…

Les patrons ne connaissent pas la crise du disque

Une société est particulièrement dans le collimateur : la SCPP (Société civile des producteurs phonographiques), dont le directeur général, Marc Guez, perçoit le deuxième salaire le plus important des dirigeants du secteur (entre 250.000 et 300.000 euros annuels, selon un tableau, page 279). Pourquoi pas ? Sauf que la SCPP n’emploie qu’une quarantaine de collaborateurs et ne traite qu’un peu plus de 60 millions d’euros de droits. C’est là que le bât blesse… “Cette même rémunération est plus de deux fois supérieure à celles de ses homologues dans des sociétés d’une échelle voisine ou supérieure, comme l’Adami ou la Spedidam”, note le rapport. Autrement dit, le patron de la SCPP est trop payé pour le service qu’il rend à ses sociétaires. “J’ai moins de salariés que les autres sociétés, mais ils sont meilleurs, pourquoi en serais-je pénalisé ?”, s’insurge Marc Guez. Du reste, nous sommes l’une des sociétés les mieux gérées. Pour justifier une telle rémunération, la SCPP indique à la Commission que Marc Guez perçoit un salaire équivalent aux directeurs généraux des majors du disque . C’est bien là le problème : comment les patrons de l’industrie du disque peuvent-ils justifier de conserver des rémunérations très élevées, alors même que le marché de la musique s’est effondré de 50 % en cinq ans ? Comment peuvent-ils justifier de tels salaires, alors que l’âge d’or est désormais plus que révolu ?

De ce point de vue, il n’est pas étonnant de retrouver en tête du classement des gros salaires le patron de la Sacem, Bernard Miyet : un salaire plus élevé de + 143 % par rapport à celui de Marc Guez (le rapport ne mentionne pas les chiffres précis) et des notes de frais qui, en 2008, s’élèvent à 29.212 euros par carte bancaire. Face aux rapporteurs de la Commission, la Sacem a tenté de justifier cette forte rémunération : les émoluments de Bernard Miyet seraient “rattachés à une responsabilité internationale publique antérieure”. Mais le rapport note que cette référence “n’a pas été fournie à la Commission permanente du contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits”.

imagesLes vacances en Guyane sur carte bancaire de la Sacem

L’examen approfondi des notes de frais des dirigeants de la Sacem révèle des abus non sanctionnés. Ainsi, en 2007, l’un des dirigeants (parti en 2008) avait pris ses aises avec la carte bancaire de la boîte : des repas seuls, des vacances en Guyane (entre le 27 décembre 2006 et le 6 janvier 2007), des frais de péage de week-end, 10.512 euros de “cadeaux”… La Commission souligne, avec euphémisme, que certaines de ces dépenses n’étaient sans doute pas effectuées dans l’intérêt de la société et n’ont pourtant fait l’objet d’aucun contrôle. “Elles n’ont pas été non plus de ce fait remboursées par l’intéressé”, note, non sans ironie, le rapport.

Les dirigeants de la Sacem en prennent pour leur grade à propos des frais d’hôtel et de restaurant payés, pour l’essentiel, par carte bancaire. Les dirigeants “ne respectent guère la note interne relative” aux frais qui est pourtant assez généreuse : les cadres dirigeants doivent s’en tenir à des hôtels 3 étoiles, les repas à l’étranger ne doivent pas excéder 40 euros et pas plus de 70 euros par personne lorsqu’ils invitent. La Commission permanente n’a pas pu pousser plus loin ses investigations, car la Sacem ne dispose pas d’un suivi analytique des dépenses payées par carte. L’opacité “étonne” les rapporteurs…

Une rente assise sur un quasi-monopole

La situation est d’autant plus choquante que les artistes n’ont guère le choix. La loi les oblige à verser. Si bien que les sociétés de perception vivent sur une rente, “un quasi-monopole de fait sur le territoire national”, note le rapport. Avec l’onctuosité qui sied au langage de la haute fonction publique, le rapport relève que “les rémunérations semblent, au moins pour quelques cas individuels, s’écarter notablement des normes de rémunération en vigueur dans les entreprises de taille comparable alors même que celles-ci sont, elles, pleinement exposées à la concurrence”.

Le rapport observe également de grandes disparités entre les salaires des dirigeants et les salariés de ces sociétés. Par exemple, à la Sacem, les six salariés les mieux payés ont vu leurs revenus croître de 10 % entre 2005 et 2008 quand le personnel s’est contenté de + 6,5 % en moyenne sur la période. La Sacem n’a pas justifié cette différence de traitement. Le rapport entre le salaire de Bernard Miyet et le salaire le plus bas de la Sacem est de “30 à 40”, note encore le rapport. Pour une société qui emploie 1.450 salariés…

Moyenne des cinq principaux salaires annuels en euros / effectif salarié / montants des sommes perçues

SACEM : 363.908 euros / 1448 / 961,3 millions d’euros

SACD : 149.775 euros / 232 / 179,6 millions d’euros

SCAM : 142.521 euros / 81 / 74,1 millions d’euros

SPP : 135.465 / 39 / 61,1 millions d’euros

CFC : 110.200 euros / 44 / 43,7 millions d’euros

ADAMI : 107.300 euros / 74 / 53 millions d’euros

SPEDIDAM : 96.020 euros / 32 / 32,9 millions d’euros

PROCIREP : 84.273 euros / 18 / 31,6 millions d’euros

La Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits est présidée par Bernard Menasseyre, président de chambre honoraire à la Cour des comptes. Elle comprend pour membres : François Lavondès, conseiller d’État honoraire ; Marie-Claude Duvernier, conseillère honoraire à la Cour de cassation ; Claude Rubinowicz, inspecteur général des finances ; Lé Nhat Binh, inspecteur général des affaires culturelles.